VISIONS****
France/Belgique. 2023. Réal.: Yann Gozlan.
Estelle est pilote de ligne. Son mari, Guillaume, médecin. Un couple à l’aise professionnellement, une belle maison au bord des flots bleus. S’aiment-ils ? Lui certainement, d’ailleurs il voudrait un enfant. Elle ? Problème, Estelle rencontre par hasard, dans un aéroport, Ana, photographe avec qui, vingt ans plus tôt, elle partagea une passion dévorante à laquelle son amante mit fin brutalement. Alors comment vont se passer ces retrouvailles ? Comme on s’en doute, par un irrépressible retour de flamme qui… mais en dire plus serait mâcher le morceau qu’on déguste et savoure pendant deux bonnes heures de suspense qui nous laisse en équilibre dans notre fauteuil. Car où se trouve-t-on ? Dans un polar à énigme ? L’étude psychanalytique d’un cas de schizophrénie ? Un fantastique onirique ? Le fait qu’Estelle soit victime de visions qui peuvent aussi bien la perturber à l’état de veille (et ce dès la première séquence) que dans ses terreurs nocturnes nous ouvre peu à peu une piste suivie par un réalisateur n’hésitant pas à se référer à Hitchcock, ce qui n’est pas usurpé : un décor aussi paisible qu’enchanteur cachant de sombres maléfices, importance de l’élément marin, l’ombre de Vertigo est bien là, même si la femme qui est deux se voit remplacée par deux femmes en une, Psycho de son côté étant évoqué par cet œil terrifiant entraperçu à travers la fissure d’un mur, sans oublier Une femme disparaît. Quant au générique, avec cet abstrait tourbillon de regards, il pourrait être signé Saül Bass. Pour ce qui est de la blonde Diane Krüger, présente à chaque plan, elle serait le double, au choix, de l’Eve Marie-Saint de La Mort aux trousses ou de Tippi Hedren dans Marnie, puisqu’on la découvre peu à peu bien différente de ce qu’elle semble être, du glaçon mécanique qui chronomètre à la seconde près son jogging à la femme éperdue, au bord de la folie, tombant de cauchemar en cauchemar. Tradition oblige, les dernières minutes du métrage défont les ficelles nouées, qu’on peut sans doute, après coup, juger quelque peu laborieuses avec le systématisme de ces cauchemars qu’on croit toujours au départ être réel jusqu’au réveil qui remet tout en question. N’empêche que le parcours parsemé de chausse-trappe d’Estelle reste continuellement crédible grâce à un mise en place rigoureuse, ceci concernant particulièrement son travail dans la cabine de pilotage ou à l’entrainement dans un simulateur de vol. Reste une question, dont le film fait son sel et se boucle sur lui-même avec ce dernier plan rejoignant le premier : doit-on croire aux rêves prémonitoires ?
Jean-Pierre ANDREVON